Après que cette série ait été faite, j’ai eu l’occasion de lire ces lignes de Novalis, si proches de ces peintures qu’elles semblent les avoir inspirées.
Le jeune homme se perdit peu à peu en de douces visions et s’endormit. Il rêva d’abord de distances infinies, de contrées sauvages et inconnues. Il marchait, traversant des mers avec une facilité incompréhensible.(…). Tous les sentiments s’exaltèrent en lui jusqu’à un degré qu’ils n’avaient jamais atteint. Il vécut une existence infiniment mouvementée, mourut et revint à la vie, aima d’une passion poussée jusqu’à l’extrême, et fut ensuite séparé, pour l’éternité, de celle qu’il aimait. A l’approche du matin, lorsque dehors l’aube se mit à poindre, le calme revint dans son âme, les images se firent plus nettes et plus stables. Alors, il lui sembla qu’il marchait seul dans une forêt obscure. Le jour ne perçait qu’à de rares intervalles le vert réseau du feuillage. Bientôt il arriva devant une gorge rocheuse qui montait à flanc de coteau. Il lui fallut escalader des blocs couverts de mousse qu’un ancien torrent y avait entrainés. A mesure qu’il grimpait, la forêt s’éclaircissait. (…) Il aperçut une ouverture qui semblait être l’entrée d’une galerie taillée dans le roc. il suivit un certain temps ce couloir souterrain qui le conduisit dans difficulté vers une grande salle d’où lui parvenait de loin l’éclat d’une vive clarté. En y entrant, il vit un puissant jet d’eau qui, paraissant s’échapper d’une fontaine jaillissante, s’élevait jusqu’à la paroi supérieure de la voûte, s’y pulvérisait en mille paillettes étincelantes qui retombaient toutes dans un vaste bassin ; la gerbe resplendissait comme de l’or en fusion ; on n’entendait pas le moindre bruit, un silence religieux entourait ce spectacle grandiose. Il s’approcha de la vasque qui ondoyait et frissonnait dans un chatoiement de couleurs innombrables. Les parois de la grotte étaient embuées de ce même liquide qui n’était pas chaud, mais glacé, et n’émettait sur ces murailles qu’une lueur mate et bleuâtre. Il plongea sa main dans la vasque et humecta ses lèvres. Ce fut comme si un souffle spirituel le pénétrait : au plus profond de lui-même il sentit renaître la force et la fraîcheur. Il lui prit une envie irrésistible de se baigner ; il se dévêtit et descendit dans le bassin. Alors il lui sembla qu’un des nuages empourprés du crépuscule l’enveloppait ; un flot de sensations célestes inondait son cœur, mille pensées s’efforçaient, avec une volupté profonde, de se rejoindre en son esprit (…).
Heinrich von Ofterdingen, Novalis
Passage IV, huile sur toile, 81 x 100 cm, 2013
Passage X, huile sur toile, 60 x73 cm, 2013