la clarté et la nuit, 2011

 

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Peinture entre le noir et le rose; barrages, obstacles et grande lumière au loin.
lumière, dont la seule présence, tant elle est forte, apaise, rassure, comble.
lumière que nous cherchons, trouvons, perdons.
lumière que nous essayons de définir, et qui toujours sort des formes que nous voudrions lui donner, s’étend à l’infini.
étirements de nos être en recherche. Traversées de tunnels.
sentiment de la présence, dont nous sommes loin, mais qui est de toute éternité. Instants de clarté, d’émerveillements, d’apparition.

m.p.

La clarté et la nuit a été inspirée par le poème de Bernadette Engel-Roux Demeure de mélancolie.
gouache, acrylique et encre sur papier japonais, 195 x 95 cm, 2011.

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Le bruissement du monde

 Musique. Ce sont quelques notes de piano qui sont venues tout d’abord. Comme pour mieux me dire que la confrontation au travail pictural de Marjolaine Pigeon allait provoquer autre chose que la seule appréhension d’une peinture. Mais le mot confrontation semble un peu dur, brutal même, car c’est plus de l’ordre de la découverte, de la révélation, comme pour certains d’entre vous qui rencontrez, pour la première fois, l’œuvre de ce peintre, en ce si haut lieu qu’est Vézelay. Quelques notes, disais-je, et beaucoup de silence. Des notes lointaines, d’un ailleurs encore inconnu.

Parmi les éléments qui se raccrochent à notre monde, il y a peu choses : quelques signes, traces, cercles… Peu de choses face à une immensité, dans ses variations colorées, ses manifestations atmosphériques, paysages brumeux, noyés dans la vapeur d’un monde encore inachevé. Laissons alors venir à nous la prégnance de la matière qui nous révèle l’épaisseur du monde et le souffle qui régit ce visible.

De petits signes : vieille écriture dont on aurait perdu le sens. La parole perdue. Dans certaines toiles de Marjolaine, la lumière arrive à percer l’épaisse matière. Nous cheminons avec elle dans cette dialectique du visible et de l’invisible, du caché et du montré… vers une compréhension du monde.

L’abstraction première se laisse déchirer par notre désir du voir, de s’aventurer dans cette obscurité, dans cette épaisseur où notre être tout entier se perd, comme déséquilibré dans un chaos primitif. Pourtant au fil du temps, du temps de l’observation, on sent une douce présence. Une force est là mais qui ne cherche pas à s’imposer à nous. Une forme qui ne peut être.

Les instants montrés par Marjolaine ne sont pas encore dans la forme, dans le corps, celui d’une forme précise que l’on pourrait reconnaître et nommer. Non, l’artiste nous invite à l’accompagner dans sa quête, dans ses investigations courageuses, dans sa confrontation à l’essentiel. Car l’enjeu pour le peintre est aussi de cet ordre. Il s’agit de se confronter, dans le champ de la représentation, à l’impossibilité du montrer. Car le temps n’est pas celui de la monstration, de l’exposition au regard mais de l’avant, de l’avant-corps, de l’avant-matière.

 Les peintures de Marjolaine sont là grandes ou petites. Elles sont chacune d’elles un moyen pour nous, d’appréhender le monde et de saisir combien il est nécessaire d’ouvrir en nous la force d’un souffle pour écarter, disperser, diluer, les rideaux de matières sombres qui opacifient la clarté du monde.

Il s’agit alors d’avancer à pas lents. Tout doucement. Avancer pour mieux écouter au fond de son cœur le bruissement du monde, cette douce mélodie qui nous guide vers la lumière. La peinture de Marjolaine, si l’on doit assigner à une œuvre picturale une fonction, a cette force, cette douce énergie qui nous invite à sortir de nous-mêmes, oser cette projection vers l’extérieur de son moi intérieur, de son moi profond pour aller au-devant du lumineux, et ainsi s’irradier de la lumière divine.

La peinture de Marjolaine a cette extrême politesse, comme dirait Henri Bergson, de prendre l’autre, celui qui regarde, dans son entièreté, dans sa complexe émotivité et de l’inviter à parcourir ce chemin de soi vers soi par le biais de la matière et de la représentation picturale. Alors peut-être pourrons-nous franchir ce voile si mystérieux.

Cet œuvre me touche tout particulièrement car elle laisse venir à moi la disparition du visible, du lisible. Elle m’invite à cheminer vers cette lumière lointaine, encore inaccessible mais dont je sais avoir besoin. A chacun son parcours. Prenons le temps de porter notre souffle dans ces brumes et de cheminer lentement dans ces matières vaporeuses, à la recherche d’un passage, guidé par l’écoute de quelques notes intérieures dans un lointain lumineux.

Jean-Luc Guiral, Paris, 02 avril 2013

texte écrit à l’occasion de l’exposition La Clarté et la nuit, à la Maison de Jules Roy, Vézelay. 

 

espaces désertiques, 2011

espace désertique XII, 26 x 18 cm, 2011

Espaces désertiques, gouache et encre sur papier, 26 x 18 cm, 2011.

Marjolaine Pigeon, espaces désertiques V

 

 

Marjolaine Pigeon

 

 

Marjolaine Pigeon, espaces désertiques XII

 

A la croisée des cieux

Espace désertique XI, 26 x 18 cm, 2011

Quelle image aurions-nous du désert, sans une main, sans un regard, pour le désigner ?

Marjolaine Pigeon ouvre un espace bleu, rose, violet, dense et profond. Elle le dit désertique, mais cela n’implique pas qu’il n’y ait rien d’habité dans ce désert. Au contraire : une présence se fait sentir. C’est la force paradoxale de l’œuvre.

Six traits passent.

Six traits délicats, sensibles. La main de l’artiste, en amont, se devine, qui les inscrit sur la page, avance, et se laisse aller à l’ondulation. L’encre apporte une matière autre sur le fond de gouache. Pour quel encrage, pour quel ancrage ? On pense à la mer, guidés par ces formes de vagues, étrangement maritimes sur le papier du ciel. On pense à l’écriture, aussi, comme si Marjolaine Pigeon représentait une signature d’humain, pour marquer, et faire remarquer, la beauté du désert bleu. L’artiste rejoint alors l’ambition d’Yves Klein lorsqu’il rêve de signer le ciel, mais en la concrétisant sur son support, et avec, au contraire du peintre et de ses monochromes, une émouvante confiance dans la compatibilité entre la ligne et l’intégrité des grands espaces.

Parmi ces lignes, un détail interpelle.

Deux traits, en haut, se croisent.

On pourrait entendre Gérard de Nerval : Spectateur, « As-tu trouvé ta croix dans le désert des cieux ? ». Deux traits se croisent, comme parfois se croisent les lignes de vie au creux de nos mains. Ce croisement résonne, car il parle aussi de cette peinture, où se croisent la mer et le ciel, le tracé et l’intraçable, la vapeur et la densité. On peut également penser à un clin d’œil chrétien, et à cette fable d’Ademar de Barros, où des traces de pas apparaissent dans le désert, puis s’interrompent, selon le soutien de Dieu. Nul doute, en tout cas, que nous ne trouvions ici de quoi se perdre dans l’imaginaire et la contemplation.

Alors je suis ces traits, qui mènent au bleu. Je les suis comme des guides qui ne guident pas. D’où viennent-ils ? Que signifient-ils ? Où vont-ils me mener ? Au fond, peu importe. Je les suis, et me laisse aller au hasard non inquiet des chemins potentiels. De ceux qui nous entraînent, pour faire écho à Andrée Chedid, « vers nulle part/ vers partout ».

Hélène Fresnel, 2017

 

 

Marjolaine Pigeon, espaces désertiques VI

 

 

les Arches, sur un poème de Bernadette Engel-Roux, 2010

 

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Les Arches, porte folio comprenant huit pointes sèches sur papier japonais, ainsi qu’un poème inédit de Bernadette Engel-Roux.

  

 

Ainsi vient l’aube comme vient l’étranger que rien n’annonce, sinon ce souffle à peine vibrant dans l’air, résonance du timbre très lointain du silence contre la nuit, sinon ce vent à peine passant les porches de la ville, invisible frémissement, sinon ce bleu à peine teintant le fin trait d’encre de ses arcades. (…)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Arches, le poème et trois pointes-sèches